Déclaration conjointe relative à l’élection présidentielle du 22 février 2020 au Togo (CDPA-BT et PA.DE.T)

 

 

La prochaine consultation électorale au Togo est fixée au 22 février 2020. A propos de cette nouvelle élection dont, objectivement, le cadre institutionnel n’a toujours pas été réformé, les partis politiques signataires tiennent à faire la Déclaration ci-après.

  1. Il y a 2 ans, le dernier trimestre 2017 a été marqué, dans de nombreuses localités du pays, par des marches populaires dont celles de Lomé particulièrement, ont réellement défrayé la chronique par leur ampleur inédite. Quoi qu’on puisse penser, sur un plan de stratégie politique, de cette mobilisation déclenchée par les manifestations organisées le 19 août 2017 par le Parti national panafricain (PNP) et violemment réprimées par les forces de sécurité (au moins 2 morts), les revendications principales de cette mobilisation encadrée à l’époque par la C14, correspondent aux aspirations profondes à la démocratie, exprimées par le peuple togolais depuis le début des années 1990 : le retour intégral à la Constitution originelle de 1992 adoptée par référendum à plus de 97%, et les réformes institutionnelles, notamment celles devant assurer, enfin, la validité des élections. L’exigence du retour au texte constitutionnel de 1992 signifie concrètement l’impossibilité pour Faure Gnassingbé de « briguer » un 4ème mandat présidentiel en 2020, alors que la Constitution stipule expressément que : « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de 2 mandats » ! La seconde exigence, celle des réformes institutionnelles, vise à « déverrouiller » le système des institutions de l’Etat grâce auquel le régime se succède indéfiniment à lui-même, par, notamment, l’instauration de la fraude électorale.

  1. Pendant trois mois, l’ampleur exceptionnelle des marches dans la capitale et la détermination des manifestants à travers le pays, ont largement confirmé le rejet populaire du régime politique autocratique et répressif installé et soutenu depuis le coup d’Etat de 1963 par l’impérialisme français, ainsi que le divorce définitif entre le peuple togolais et les institutions qui l’oppriment depuis plus de 50 ans : une preuve irréfutable en a été le boycott (moins de 20% réels de participation) de la mascarade des « législatives » de décembre 2018 ! Concernant cette parodie d’élection, qui constitue une marque distinctive de plus du système antidémocratique de gouvernement, depuis des décennies, contre la volonté du peuple, les instances de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont félicitées, 2 jours après la mascarade, de « la tenue effective d’élections législatives libres et transparentes » ! Comment, dans ces conditions, ne pas voir l’intervention, dès juillet 2018, de l’instance communautaire dans la crise, comme un soutien au régime dont le peuple cherche à se débarrasser depuis 1990, confirmant la thèse selon laquelle, surtout préoccupée de stabilité politique dans les pays, la communauté internationale est en réalité dans un complot permanent contre les exigences d’émancipation des peuples opprimés ?

  1. Quant à la coalition des 14 partis politiques d’opposition, la C14, dont on sait aujourd’hui que l’apparente fermeté dans l’accompagnement des revendications populaires cachait de profondes dissensions, le boycott de la mascarade des « législatives » par la population a, paradoxalement, fait voler en éclats non seulement sa cohésion, mais aussi la cohérence de ses positions : minée par les contradictions internes découlant de la disparité idéologique de ses membres et l’absence de cohérence stratégique initiale, la C14 a implosé et certaines de ses composantes, abandonnant honteusement la ligne conséquente du mot d’ordre : pas de réformes, pas d’élection, se sont présentées, le 30 juin 2019, à des élections municipales organisées à dessein par le pouvoir dans le cafouillage et dans un climat de corruption et de fraude généralisée, le tout porté, de part et d’autre, par la manipulation de l’opinion publique. Comme de coutume, une écrasante majorité des sièges a été octroyée au parti du pouvoir, l’UNIR ; ceux de ladite opposition « crédités » de scores minuscules. La moitié du corps électoral s’est, logiquement, désintéressée de ce scrutin… Les réformes n’ayant pas été opérées, c’est évidemment dans les mêmes conditions que se préparent les présidentielles du 22 février 2020, dans un processus électoral entaché d’illégalité : au niveau du code électoral, de la commission électorale nationale indépendante (CENI), de la Cour constitutionnelle, de l’inscription sur les listes électorales…

  1. C’est pourtant dans ces conditions scandaleuses que des partis se disant de l’opposition, des rescapés de l’ex-C14 notamment, continuant de faire preuve d’une inconséquence notoire, renouvelant ce qu’il faut bien caractériser comme une trahison des mots d’ordre de la puissante mobilisation populaire de 2017 et, singulièrement, du très pertinent Pas de réformes, pas d’élection, « s’agitent comme d’habitude, pour participer à ce scrutin de février 2020. Et comme d’habitude, ils font croire qu’ils vont arracher l’alternance si la masse des opposants va massivement aux urnes voter pour les candidats qui se présenteront pour le compte de l’opposition. (…) Une fois de plus, ils abusent la population pour des raisons inavouables.» (cf. La CDPA-BT et les présidentielles de 2020, 1er décembre 2019). Comment le prochain scrutin pourrait-il entraîner l’ « alternance », sans que les conditions « habituelles » des élections au Togo aient changé ? Encore une fois, comment comprendre que les rescapés de la C14 notamment, après avoir soutenu pendant presque 2 ans les impérieuses revendications du peuple, comment comprendre qu’ils se mettent sur les rangs pour un scrutin qu’ils savent pipé d’avance ? Déployant des argumentaires fallacieux, allant du recours au « spirituel » à la tactique du « candidat unique de l’opposition » et même à la perspective d’un nouveau dialogue avec le régime, ils tentent en fait de justifier leur trahison.

  1. Car, « le peuple sait maintenant que le régime (…) n’est pas prêt à céder le pouvoir, par une réforme appropriée des institutions qui mettrait bien évidemment un terme à sa trop longue et funeste emprise sur les affaires publiques et créerait les circonstances propices au changement sociopolitique (…) La stratégie de la lutte populaire au Togo ne peut être fondée ni sur le dialogue, ni sur la participation à des élections perdues d’avance. » (cf. PA.DE.T, Déclaration du 25 avril 2019). Instruit par les nombreuses expériences du passé, le peuple sait que, sans ces réformes, comme pour les présidentielles passées, c’est le candidat du parti au pouvoir qui sera déclaré vainqueur : pour la 4ème fois depuis 2005, en un processus dynastique, Faure Gnassingbé sera « élu » président de la république et le régime se succèdera ainsi de nouveau à lui-même… Dans ces conditions, participer à une telle mascarade, n’est-ce pas « accompagner » le régime en étant, en toute connaissance de cause, partie prenante du fonctionnement des institutions illégales et frauduleuses qu’il a mis en place pour continuer de confisquer le pouvoir d’Etat ? Et, pour un parti politique qui prétend combattre ce régime, participer à ce processus frauduleux en alignant un candidat, n’est-ce pas le « légitimer », notamment pour les observateurs extérieurs, comme régime démocratique pratiquant des élections « plurielles » ? Accompagner le régime que l’on prétend combattre, et/ou contribuer à le légitimer, c’est au contraire l’aider à se maintenir : c’est parfaitement illogique !

  1. « Un parti d’opposition logique avec lui-même ne peut pas prétendre combattre pour la fin d’un régime autocratique en allant au même moment à des pseudo-élections qui permettent à ce même régime de se maintenir au pouvoir. » (cf. La CDPA-BT et les présidentielles de 2020, 1er décembre 2019). C’est pourquoi, signataires de la présente Déclaration, les 2 partis politiques d’opposition conséquente au régime antidémocratique et répressif qui opprime le peuple togolais depuis 50 ans, la CDPA-BT et le PA.DE.T dénoncent le scrutin présidentiel du 22 février 2020 et le rejettent comme illégitime, n’étant pas organisé dans le cadre des réformes institutionnelles appropriées exigées par le peuple togolais ! Les 2 partis estiment que ces réformes sont indispensables pour mettre réellement le Togo sur la voie de la démocratie, affirmant par ailleurs que cette élection présidentielle de 2020 sans réformes, comme toutes les précédentes, n’offre aucune solution à la crise sociopolitique qui mine le pays depuis trois décennies et dont la « gestion » par le régime en place est une menace pour la cohésion sociale et la paix civile… En conséquence, la CDPA-BT et le PA.DE.T appellent leurs membres et sympathisants, tous les citoyens, hommes et femmes, ainsi que les organisations civiles et politiques diverses, qui se réclament de la démocratie, du respect des droits et de l’instauration de la justice sociale au Togo, se considérant dès lors comme des opposants conséquents au régime, à ne cautionner d’aucune manière cette énième parodie électorale et à s’abstenir de participer au scrutin présidentiel du 22 février prochain, organisé comme tous les précédents, aux seules fins de maintenir ce régime au pouvoir.

  1. Mais, cet appel au boycott de la nouvelle mascarade, ne constitue nullement une fin en soi et une incitation à la léthargie politique ; bien au contraire, c’est en même temps une ardente exhortation adressée à tous, de rechercher les voies et moyens de mettre fin à plus de 50 années d’un régime politique autocratique soutenu par la hiérarchie militaire, installé par l’impérialisme français et qui mène irrémédiablement le pays au chaos. La seule façon d’y parvenir, est, pour chaque Togolais, c’est-à-dire pour la masse des opposants à ce régime, de contribuer à la mise en place d’une authentique organisation politique d’opposition, capable de renverser le rapport des forces et de conduire un processus alternatif de satisfaction des aspirations du peuple togolais à la souveraineté nationale, à la démocratie et au bouleversement de ses conditions de vie actuelles. En effet, c’est l’absence de cette authentique représentation politique organisée, indépendante parce que porteuse des véritables aspirations du peuple, qui permet au régime de se pérenniser. Des efforts sont en cours pour construire cette force politique d’opposition au régime dont le peuple togolais cherche légitimement à se débarrasser, pour s’ouvrir la voie de son émancipation et de son progrès.

Lomé, le 6 février 2020

 
Le PA.DE.T                                                                                                                       La CDPA-BT  

         

Le  Secrétaire national                                                                                                   Le Premier Secrétaire

N. GBIKPI-BENISSA                                                                                                            E. GU-KONU