III- La Lettre pastorale : Au-delà des réactions épidermiques

Eveques_2_rogné_2La lettre pastorale est bien plus importante qu’elle n’apparaît à travers les réactions superficielles suscitées dans l’opinion, en particulier dans les milieux des états-majors des partis du courant majoritaire de l’opposition. Il faut dépasser ces réactions quasi épidermiques pour pouvoir aller plus loin dans l’examen de la lettre.

Dans leur analyse de la situation politique, les Évêques ont usé de mots forts et d’expressions fortes du genre : une forme d’irresponsabilité tranquille ; responsabilité du peuple ; un destin commun qui repose dans nos mains ; les gouvernants dépendent de la volonté du peuple ; une réforme en profondeur ; le peuple a le droit de savoir (on pourrait ajouter aussi le devoir de chercher à savoir) ; des responsables politiques…dépourvus de cette vertu fondamentale qu’est la responsabilité politique ; éviter la trivialité du désinvolte ; il faut choisir son camp ; de mauvais samaritains qui, au lieu de chercher à soigner le blessé, se contentent de discourir à son sujet ; des brigands qui volent et pillent ; qui écrasent les faibles pour rester forts ; qui trichent les pauvres pour demeurer les plus riches ; lutter de façon responsable ; s’opposer à toute forme de sabotage de la vérité ; éviter l’esprit de rivalité

Les pépites ne sont pas épuisées. Ceux qui prendront le courage d’explorer la mine avec patience, objectivité, sans parti pris, en découvriront d’autres, certainement avec plaisir.

Les mots forts et les expressions fortes utilisés dans la lettre pastorale décrivent bien les réalités de la vie politique togolaise. Celles-ci ne sont pas uniquement le propre de la situation post électorale prise en compte par les Évêques. Ce sont des permanences de l’évolution de la situation politique depuis au moins 1993. Elles ont constamment freiné le combat du peuple pour le changement, œuvré contre l’expression de la vérité, fortement contribué à maintenir le pays dans une situation où « le plus petit nombre [s’est toujours impunément accaparé] les ressources [du pays] au détriment du plus grand nombre, … »

Ces mots si forts ne sont pas excessifs par rapport aux réalités sociopolitiques togolaises. Ils ne visent pas uniquement le régime, comme on veut le faire croire. Les Évêques invectivent aussi ce qu’il est convenu d’appeler « l’opposition », et plus précisément celle dont les chefs de parti obstruent les devants de la scène politique depuis des années ; celle que nous appelons à la CDPA-BT le « courant majoritaire de l’opposition ».

Car, aujourd’hui, l’obstacle principal au succès du combat pour une autre gestion des affaires publiques n’est plus en réalité le régime. On connaît ce régime depuis longtemps déjà ; on sait ce qu’est sa nature et ses pratiques à tous les points de vue. On sait sa détermination à se maintenir au pouvoir à tout prix contre la volonté populaire (violences d’Etat de 2005). On sait que pour cette raison, il s’est donné tous les moyens pour dominer le rapport de forces. Tout le monde est conscient aujourd’hui que la « relative tranquillité » dont parlent les Évêques n’est qu’un mirage, plus précisément la surface de l’eau qui dort.

L’obstacle principal au succès du combat se situe plus que jamais dans les choix et les pratiques politiques des chefs du courant majoritaire de l’opposition : trivialité et désinvolture ; sabotage de la vérité ; mensonges pour reprendre les mots des Évêques. Mots auxquels on peut ajouter la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir et, à défaut, pour la première place au sein de l’opposition, la marginalisation de la masse des opposants …

Les accusations ainsi portées par la lettre pastorale contre « l’opposition » traduisent les sentiments de dépit, d’exaspération et de désespoir qui traversent l’opposition toute entière. En cela, les Évêques du Togo incarnent ses aspirations profondes au changement démocratique.

Par son contenu et ses orientations, la lettre pastorale invite à la réflexion. Elle enseigne qu’un chef de fil, que le régime se donne pour mieux démobiliser l’opposition démocratique, ne saurait être l’aboutissement de la longue lutte du peuple pour une « saine démocratie »(sic). Et qu’il faut aller, par conséquent, de l’avant.

De ce point de vue, la lettre pastorale appelle forcément une autre politique d’opposition, que certains partis d’opposition comme la CDPA-BT n’ont pas cessé de proposer depuis au moins 2002.

Fait à Lomé, le 5 juillet 2016

La Rédaction

 

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